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Aimeho i te Raravaru

Aimeho i te Raravaru (1948-2013)

Par Jean-Loup Ra'i-Atea Pambrun (en souvenir de tes camarades de lutte du Comite Opuhara)

 

P tit Louis Aimeho Jacquess, Jmarc

 Aimeho avec P'tit Louis, Jacques Navarro et mon bien-aimé frère Jean-Marc lors du salon du Livre en 2010 à la maison de la culture de Papeete

(Photo Rai Chaze)

Notre Dame. 10 mars 2014.

Ia ora na à toi Aimeho le Conteur Poète. C'est avec beaucoup de tristesse que j'ai appris que tu venais de tirer ta révérence sans tambours ni trompettes en ce 10 mars 2013.

C'est en effet avec discrétion que tu es parti rejoindre ton meilleur ami Jean-Marc Tera'ituatini et d'autres compagnons éternels défenseurs de la culture ma'ohi : Henri Hiro, Léon Taerea, Bobby Holcomb.... J'imagine déjà les joutes verbales des uns et des autres dans une atmosphère de fête agrémentée par ton incomparable humour.

Peu de temps avant ton grand voyage nous nous étions rencontrés à Punaauia. Comme toujours ce fut un bonheur de converser avec toi. Il était convenu d'un prochain rendez-vous. Mais il faut avouer que parfois le temps est plus rapide que nos aspirations. Ceci dit l'aventure continue...... et nos esprits communiquent.... Ainsi pas plus tard que le dimanche matin du 31 mars 2013, je t'ai revu en rêve : "Nous étions à Punaauia à l'occasion d'une fête avec des amis. Puis une voiture arrive pour déposer un passager toi en l'occurrence. C'est un fait tu ne conduisais pas et donc  fidèle à ton habitude tu te faisais transporter par la première bonne âme venue. Car on ne refusait jamais de te rendre ce sympathique service. Tu arrivais donc sans prévenir en poussant tes inimitables harangues propices à la fête et ce jusqu'à tard dans la nuit".

Inévitablement beaucoup de souvenirs me reviennent, car c'est une page importante de notre histoire qui s'est tournée ce jour là. Il faut dire que, avec d'autres camarades de lutte, nous te connaissions depuis 1977 époque où mon bien-aimé frère Jean-Marc Tera'ituatini était président de l'association des étudiants tahitiens de Paris et du comité Opuhara. Une folle aventure qui allait bouleverser la vie de chacun d'entre nous avec des trajectoires aux multiples rebondissements.

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Aimeho i te raravaru Charousset est né le 6 mars 1948 à Pirae et décédé à Papeete le 10 mars 2013. Un article des Nouvelles de Tahiti (15.12.2008), rédigé par Khadidja Benouataf, indique qu'il était lanceur de pavé durant les événements de mai 1968, qu'il revient à Tahiti en 1975 et qu'il a fait partie du Pupu Arioi de 1978 à 1985. Puis il a été chargé du recueil des traditions orales et matérielles pendant 12 ans au Musée de Tahiti et des Iles. Depuis 1998 il a été responsable de la résorption de l'habitat insalubre de la commune de Fa'a'a. (http://www.lesnouvelles.pf/article/a-laffiche/aimeho-charousset4).

Quelques précisions pour compléter les propos du journaliste : en 1968 Aimeho était un jeune maoïste passionné; il est effectivemment revenu à Tahiti en 1975 mais il retourne en France entre 1976 et 1978 époque de notre rencontre ainsi que sa collaboration avec le comité Opuhara. Par la suite nous le retrouvons au Pupu Arioi, une  période importante dans son cheminement intellectuel et culturel; dire qu'il a travaillé au Musée de Tahiti et des Iles n'est pas tout à fait exact, en fait c'est au sein du Département des Traditions orales qu'il a oeuvré avec Heipua Bordes, Danielle Carlson, Jean-Marc, Illis Loyat, Tutana Tetuanui-Peters, Doris Maruoi et moi-même. A l'époque notre département dépendait du Centre Polynésien des Sciences Humaines "Te Anavaharau" ainsi que les départements Archéologie et Musée avec lesquels nous collaborions lorsque certains programmes en cours l'exigeaient. Cependant, le Musée de Tahiti et des Iles (Te Fare Manaha), étant le plus connu auprès du public, nous le citions par habitude. Depuis tout a été réorganisé. Le Musée est devenu autonome et l'Archéologie et les Traditions orales ont été intégrés au Service de la culture.

Departement des traditions et musee des iles sur la photo patrice gueret tutana tetuanui peters et aimeho 1981 1984 copie

Début des années 80, un vendredi soir au département d'Archéologie, lors d'un pot en l'honneur de je ne sais plus qui... 

Sur la photo Patrice Guéret, Tutana, Aimeho.

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Pour avoir une idée de la personnalité du conteur qu'était Aimeho, j'ai inséré ci-après un très large extrait de l'article des Nouvelles de Tahiti, cité plus haut, à l'occasion de la sortie de son livre en 2008 "L'assemblée des trois peuples (..) une légende poétique pour les générations futures. C’est Aimeho ite raravaru Charousset qui l’a imaginée. Illustrée par de sublimes photos signées Cécile et Patrick Dancel, elle est publiée dans la collection Univers Polynésiens de Dominique Morvan (Khadidja Benouataf, Nouvelles de Tahiti).

 L assemblee des 3 peuples 640x480

 

Conteur poétique

“Il y a longtemps, longtemps, si longtemps que personne n’aurait pu compter –depuis ce jour– le nombre de lunes rondes qui s’étaient levées puis couchées sur le même horizon. Quant à calculer le nombre de soleils, c’était totalement absurde. Ce jour-là, donc, une petite frégate volait nonchalamment au-dessus de l’océan, quand une baleine émergea, précédée de son panache nacré. Leurs regards se croisèrent, celui perçant de l’oiseau et celui scrutateur du patriarche de la mer… Là, ils surent, sans trop vouloir le croire, qu’ils avaient été traversés par la même pensée.”

L’écriture d’Aimeho ite raravaru Charousset s’entend avec les yeux. C’est que, nous dit l’auteur, il est issu de la tribu des conteurs. Il a endormi ses fils, leurs cousins, les amis, les parents. Il a inventé des histoires. Un conteur, avance-t-il, c’est un adulte qui va ouvrir des portes dans l’esprit des enfants.

Pour eux, il a écrit une légende poétique. Elle raconte l’extraordinaire réunion de l’Assemblée des trois peuples. Celle qui précéda l’arrivée des hommes, le quatrième peuple, le dernier-né et le plus turbulent, dans les îles du Pacifique. L’auteur ne s’est pas inspiré d’une légende existante. “Je ne voulais pas toucher aux matrices, aux mythes fondateurs, aux chroniques historiques des clans, et des lieux. Mais j’ai voulu en restituer l’esprit, dans la langue française, que j’aime, que je maîtrise.”

Le conte rappelle pourtant ce que les anciens, tels Paraurahi (l’orateur du marae de Taputapuatea) ont enseigné : “Les prouesses maritimes de nos ancêtres polynésiens ne doivent pas faire oublier la volonté farouche des taura, esprits gardiens, qui les ont guidés vers toutes les îles du grand océan.” Qui sont ces gardiens, comment les animaux sontils devenus les totems protecteurs de chaque lignée humaine du Pacifique…? C’est ce que l’on découvre dans la musicalité et l’ondulation des phrases de l’auteur.

Il se donne une telle importance, dit la baleine, que ses oreilles n'écoutent que sa propre voix

On y apprend aussi ce que les animaux pensent de l’Homme. “Il se donne une telle importance, dit la baleine, que ses oreilles n’écoutent que sa propre voix”, “il a la dent aussi aiguë que celle du requin, et le coeur aussi gros que celui de la chevrette”, dénonce la carangue, “il ne connaît pas le respect, seule la peur peut lui donner un semblant de sagesse”, surenchérit l’oiseau.

Cette belle histoire est sublimement illustrée par les photos entre ciel et mer de Patrick et Cécile Dancel. La démarche, inédite pour la littérature enfantine locale, est celle de Dominique Morvan. “Patrick qui est un grand voyageur et un excellent photographe, m’avait laissé un CD d’images avant de s’envoler pour l’Asie. Ces photos ont été prises dans la fabuleuse réserve naturelle du Motu Ahi de Teiki Pambrun. J’avais le texte d’Aimeho dans mes tiroirs depuis un moment, la superposition des deux est apparue comme une évidence. Avec Patricia Campagno, nous avons choisi la typographie, la variation des couleurs, la façon de faire courir les phrases”, raconte l’éditrice.

Le résultat est surprenant. On ne sait plus où donner des yeux, les images sont captivantes. Les mots inspirés. On s’y perd, on y revient. Le regard plonge, se laisse dériver dans l’intimité du peuple de l’océan. L’objet, c’est sûr, séduira les enfants.

Quant aux adultes qui raconteront l’histoire, ils auront peut-être l’ultime récompense devant leurs chérubins au bord de l’endormissement, d’une paupière qui se soulève, frémissante, pour intimer l’ordre de poursuivre. “Lorsqu’on raconte un conte à dormir debout à un enfant, recommande Aimeho, il ne faut jamais s’arrêter avant la fin.”Aimeho 1

Aimeho ite Raravaru Charousset

"Aimeho, votre frère, votre proche ami, camarade de combats sur le bitume ou au fond des vallées, propices aux avancées culturelles, artistiques ou spirituelles et fêtées sous les étoiles lors de nuits douces et arrosées, vous tire sa révérence et vous salue Ciao, Ciao".......

(Dépêche de Tahiti 11 mars 2013)

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